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La méditation déjà là

de Jiddu Krishnamurti

Une sélection des textes originaux par Chen Kay

Une vision beaucoup plus large de la méditation que nous propose Jiddu Krisnamurti (12 mai 1895 – 17 février 1986) reconnu comme un penseur de grande envergure, intransigeant et inclassable, dont les causeries et les écrits ne relevaient d’aucune religion spécifique, n’appartenaient ni à l’Orient ni à l’Occident, mais s’adressaient au monde entier

Loin de prétendre à fonder une Église ou une secte, Jiddu Krishnamurti, philosophe inclassable invite chacun de nous à prendre conscience des multiples conditionnements qui l’environnent – idéologies, croyances, modèles sociaux… – afin de s’en dégager et de trouver en lui-même la source de sa liberté.
Les textes sélectionnés ici offrent un ample panorama des thèmes les plus souvent abordés dans cet enseignement : la souffrance, le désir, l’amour, la mort. C’est un belle occasion de découvrir la pensée de J. Krishnamurti.

“La méditation ne consiste pas à s’envelopper dans un tissu de pensées, dans l’enchantement du plaisir.

La méditation n’a pas de commencement, elle n’a donc pas de fin.

Si vous dites : « Je commencerai aujourd’hui à contrôler mes pensées, à m’asseoir tranquillement dans une posture méditative, à respirer avec régularité, », c’est que vous êtes pris par les artifices avec lesquels on se trompe soi-même. La méditation n’est pas le fait d’être absorbé dans une idée ou une image grandiose : cela ne calmerait qu’un moment, à la façon dont un enfant est calme pendant le temps où un jouet l’absorbe. Mais dès que le jouet cesse d’être intéressant, l’agitation et les sottises recommencent.

La méditation n’est pas dans le processus de la pensée, car la pensée est si rusée qu’elle a d’infinies possibilités de se créer des illusions, mais alors la méditation lui échappe. Comme l’amour, elle ne peut être pourchassée.

La méditation n’est pas la poursuite d’une voie invisible conduisant à quelque félicité imaginaire. L’esprit méditatif voit, observe, écoute sans le mot, sans commentaires, sans opinion, attentif au mouvement de la vie dans tous ses rapports, tout au long de la journée.

Et la nuit, lorsque l’organisme est au repos, l’esprit méditatif n’a pas de rêves, car il a été éveillé tout le jour.

Ce n’est que l’indolent qui a des rêves, ce ne sont que les personnes partiellement endormies qui ont besoin d’émissions émanant de leurs propres états de conscience. Mais lorsqu’un esprit vigilant écoute le mouvement extérieur et intérieur de la vie, un silence lui vient, que n’élabore pas la pensée.

Ce n’est pas un silence que l’observateur puisse percevoir en tant qu’expérience. S’il le vit comme expérience, et la reconnaît, ce n’est plus un silence. Le silence de l’esprit méditatif n’est pas inclus dans les limites de la récognition, car il n’a pas de frontières. Il n’y a que ce silence – dans lequel l’espace de la division n’existe plus.

La méditation n’est pas la répétition du mot, ni l’expérience d’une vision, ni la mise en œuvre du silence. Le grain du chapelet et le mot peuvent bien faire taire l’esprit bavard, mais cela n’est qu’une forme d’autohypnose. Vous pouvez aussi bien avaler une pilule.

La méditation est la racine, la plante, la fleur et le fruit. Ce sont les mots qui créent une séparation entre le fruit, la fleur, la plante et la racine. En cette séparation, l’action n’est pas bénéfique. La vertu est perception totale.

 

La méditation est l’innocence du présent ; elle est donc toujours seule. L’esprit complètement seul cesse d’accumuler. Ainsi l’acte vidé d’activité mentale est toujours dans le présent. Pour l’observateur solitaire, le futur – qui appartient au passé – disparaît.

La méditation est un mouvement, non une conclusion, non une fin à poursuivre.

La méditation est un mouvement attentif. L’attention n’est pas une fin en soi, elle est impersonnelle complètement statique et complètement dynamique à la fois.

L’attention n’a pas de frontières, pas de ligne de démarcation à franchir ; c’est une clarté purifiée de toute pensée. La pensée ne peut jamais atteindre cette clarté, car elle a ses racines dans le passé qui est mort ; penser est donc une action dans les ténèbres. En être conscient c’est être attentif. Mais cette prise de conscience n’est pas une méthode pour parvenir à l’attention.

Ce qu’enseigne une méthode est toujours dans le champ de la pensée et de ce fait, peut être contrôlé ou modifié. C’est donc une inattention.

L’attention consiste à s’en rendre compte.

 

La méditation n’est pas un processus intellectuel appartenant au champ de la pensée : elle consiste à se libérer de la pensée en un mouvement extatique de vérité.

Dans l’attention totale de la méditation, il n’y a ni connaissance, ni récognition, ni le souvenir de ce qui a eu lieu. Le temps et la pensée sont entièrement parvenus à leur fin, car ils sont le centre qui limite sa propre valeur.

À l’instant où se fait la lumière méditative, la pensée dépérit, s’éloigne, et l’effort conscient qui accompagnait l’expérience, ainsi que son souvenir, ne sont plus que le mot qui a été. Et le mot n’est jamais actuel. En cet instant-là – qui n’est pas dans le temps l’ultime est l’immédiat, mais cet ultime n’a pas de symbole, et ne se rapporte à aucune personne, à aucun dieu.

Le sommeil est aussi important que l’état de veille, et peut-être plus. Si pendant la journée l’esprit est attentif, ramassé en lui-même, en train d’observer les mouvements extérieurs et intérieurs de la vie, de nuit la méditation survient comme une bénédiction.

L’esprit se réveille et de la profondeur du silence monte l’enchantement de la méditation, qu’aucune imagination, qu’aucun fantasme ne peut jamais produire.

La méditation vient sans jamais être invitée ; elle surgit de la tranquillité de la conscience, non pas de l’intérieur de la conscience mais du dehors, non à l’intérieur du cercle de la pensée, mais hors de l’atteinte de la pensée.

On n’en garde donc aucune mémoire, car un souvenir appartient toujours au passé, et la méditation n’est pas la résurrection d’un passé. Elle se produit par la plénitude du cœur et non par l’éclat et la capacité de l’intelligence. Elle peut se produire nuit après nuit mais chaque fois, si vous êtes ainsi béni, elle est neuve – non pas neuve en tant qu’elle serait différente du connu, mais neuve sans l’arrière-plan du connu, neuve dans sa diversité et dans son invariable variation.


Ainsi le sommeil acquiert une importance extraordinaire. 

Ce n’est pas le sommeil de l’épuisement, ou le sommeil que provoquent les drogues, les satisfactions corporelles, c’est un sommeil aussi léger et aérien que le corps est sensible.

Et le corps est sensibilisé par sa propre vigilance. Parfois la méditation est aussi légère qu’une brise qui passe ; d’autres fois sa profondeur est au-delà de toute mesure.

Mais si le mental s’accroche à l’une ou l’autre de ses apparitions et en garde le souvenir afin de s’y complaire, l’extase disparaît. Il est important de ne jamais s’en saisir et de n’avoir pas le désir de s’en emparer. L’action possessive ne doit jamais intervenir dans la méditation, car la méditation n’a ni racines ni aucune substance accessible au mental.

Si vous prenez délibérément une attitude, une posture, en vue de méditer, cela devient un divertissement, un jeu de l’esprit. Si vous prenez la résolution de vous dégager de la confusion et de l’affliction du monde, cela devient une expérience imaginaire – et ce n’est pas de la méditation.

Le mental conscient ou inconscient ne doivent y avoir aucune part ; on ne doit pas même se rendre compte de l’ampleur de la beauté de la méditation ; si l’on s’en rend compte, on peut aussi bien aller s’acheter un roman.

La méditation n’est pas une évasion. Ce n’est pas une activité qui vous isole et vous enferme en vous-même, c’est plutôt une compréhension du monde et de ses évolutions. Le monde a peu à offrir en dehors d’aliments, de vêtements, d’abris, et de plaisirs doublés de chagrins.

La méditation consiste à vaguer en dehors du monde. Il faut être totalement en dehors du monde, alors il a un sens, et la beauté des cieux et de la terre est toujours présente.

Alors l’amour n’est pas plaisir, mais le départ d’une action qui ne provient ni d’une tension d’esprit, ni d’une contradiction, ni de la vanité du pouvoir.

Ce qui est important, dans la méditation, c’est la qualité de l’esprit et du cœur. Ce n’est pas ce à quoi on est parvenu, ni ce que l’on dit avoir atteint, mais plutôt la qualité d’un esprit innocent et vulnérable.

Au-delà de la négation, existe un état positif.

Simplement accumuler des expériences – ou vivre dans un état d’expérience – c’est méconnaître la pureté de la méditation.

La méditation n’est pas un moyen en vue d’une fin. C’est à la fois le moyen et la fin. La pensée, le moi, ne peut jamais être rendu innocent par l’expérience. C’est la négation de l’expérience qui engendre l’état positif d’innocence, état que la pensée ne peut pas cultiver. La pensée n’est jamais innocente.

La méditation met fin à la pensée, mais non par l’action de celui qui médite, car celui qui médite n’est autre que la méditation. Ne pas méditer c’est être comme un aveugle dans un monde de grande beauté, de lumière, de couleur.

Déambulez donc au bord de la mer, et laissez cette qualité méditative venir à vous. Si elle vient, ne la poursuivez pas. Ce que l’on poursuit sera la mémoire de ce qui a été, et ce qui a été est la mort de ce qui est. Ou, si vous vagabondez parmi les collines, que tout vienne vous dire la beauté et la souffrance de la vie, afin que vous vous éveilliez à votre propre douleur, et à sa fin.

La méditation est le déploiement du neuf. Le neuf est au-delà et au-dessus du passé répétitif – et la méditation met une fin à cette répétition. La mort que provoque la méditation est l’immortalité du neuf. Le neuf n’est pas dans le champ de la pensée, et la méditation est le silence de la pensée.

La méditation n’est pas un accomplissement, ce n’est pas non plus la capture d’une vision ou l’ardeur d’une sensation. C’est comme un fleuve qu’on ne peut apprivoiser, rapide et débordant ses rives. C’est la musique qui n’a pas de sons ; on ne peut pas la domestiquer et s’en servir. C’est le silence en lequel l’observateur n’est plus là dès le début.

Les silences sont de natures différentes. Il y a le silence entre deux bruits, le silence entre deux notes, et le silence qui s’élargit dans l’intervalle entre deux pensées. Il y a ce silence particulier, tranquille, pénétrant, qui vient par certains soirs dans la campagne ; il y a le silence à travers lequel on entend l’aboiement d’un chien au loin, ou le sifflet d’un train alors qu’il gravit une pente raide, le silence dans une maison où tout le monde est allé dormir, et sa curieuse amplification lorsqu’on se réveille au milieu de la nuit et qu’on écoute un hibou qui hulule dans la vallée ; et il y a le silence avant que ne réponde sa compagne. Il y a le silence d’une vieille maison désertée, et le silence d’une montagne ; le silence entre deux êtres humains, lorsqu’ils ont vu la même chose, senti de la même façon et agi.

La méditation n’est pas dans le processus de la pensée, car la pensée est si rusée qu’elle a d’infinies possibilités de se créer des illusions, mais alors la méditation lui échappe. Comme l’amour, elle ne peut être pourchassée.

Si l’on entreprend de méditer de propos délibéré, ce n’est pas de la méditation.
Si l’on se propose d’être bon, la bonté ne fleurira jamais
.
Si l’on cultive l’humilité, elle cesse d’être.
La méditation est comme la brise qui vient lorsqu’on laisse la fenêtre ouverte ; mais si on la laisse ouverte délibérément, si, délibérément, on invite la brise, elle n’apparaîtra jamais.

La pensée ne peut ni concevoir ni formuler la nature de l’espace. Tout ce qu’elle formule contient les limitations de ses propres frontières. Cet espace n’est pas celui que rencontre la méditation. La pensée a toujours un horizon. L’esprit méditatif n’en a pas. La pensée ne peut pas plus aller du limité à ce qui est immense, qu’elle ne peut transformer le limité en illimité. Elle doit abandonner l’un pour que l’autre soit. La méditation est l’ouverture d’une porte dans des espaces qui ne peuvent être imaginés et qui ne peuvent être l’objet de spéculations.

La pensée est le centre autour duquel est l’espace d’une idée, et cet espace peut être étendu par l’adjonction d’autres idées. Mais une telle expansion au moyen de stimulants, sous n’importe quelle forme, n’est pas la vaste étendue en laquelle il n’y a pas de centre. La méditation est la compréhension de ce centre et son dépassement.

Le silence et l’étendue vont de pair. L’immensité du silence est l’immensité d’une conscience en laquelle n’existe pas de centre. La perception de cet espace et de ce silence n’est pas du domaine de la pensée. La pensée ne peut percevoir que sa propre projection, et lorsqu’elle la reconnaît, elle trace sa propre frontière.

La méditation est un dur travail. Elle exige la plus haute forme de discipline – non celle du conformisme, de l’imitation, de l’obéissance ; mais celle qui résulte de ce que l’on est constamment conscient, à la fois du monde extérieur et de la vie intérieure. Donc la méditation n’est pas une activité dans l’isolement, mais une action dans la vie quotidienne, faite de coopération, de sensibilité et d’intelligence.

Si la méditation ne pose pas les fondements d’une vie irréprochable, elle devient une évasion et par conséquent n’a absolument aucune valeur. Être irréprochable, ce n’est pas se conformer à une morale sociale, mais être libéré de l’envie, de l’avidité et de la recherche du pouvoir, qui sont des causes d’inimitié. On ne s’en libère pas par une action volontaire, mais en en étant conscient, du fait qu’on se connaît. Si l’on ne connaît pas les activités du moi, la méditation devient une excitation sensorielle et a très peu de sens.

Ne pensez pas que la méditation soit le prolongement ou l’expansion d’une expérience vécue. Au cours d’une expérience il y a toujours le témoin, et celui-ci est à tout jamais lié au passé. La méditation, au contraire, est une inaction totale, laquelle met fin à toute expérience. L’action de l’expérience, ayant ses racines dans le passé, nous rend tributaires du temps ; elle conduit à une action qui est inaction et qui provoque du désordre. La méditation est la totale inaction d’une conscience qui voit ce qui est, sans les empêtrements du passé. Cette action n’est pas une réponse à une provocation : c’est la provocation même qui agit, de sorte qu’il n’y a point-là, de dualité.

La méditation consiste à se dépouiller de toute expérience. C’est un processus qui, consciemment ou inconsciemment, continue sans arrêt et qui, par conséquent, n’est pas limité à certaines heures de la journée. C’est une action continue, du matin jusqu’à la nuit une observation sans observateur. Il n’y a donc pas de division entre la vie quotidienne et la méditation, entre la vie religieuse et la vie séculière. La division ne se produit que lorsque l’observateur est lié au temps. Cette division est un état de désarroi, d’infortune et de confusion, qui est l’état de la société.

La méditation n’est donc ni individualiste ni sociale ; elle transcende les deux, donc inclut les deux.

C’est cela, l’amour : la floraison de l’amour est méditation.

La méditation est un mouvement dans l’immobilité.Le silence de l’esprit caractérise l’action vraie. L’action engendrée par la pensée est une inaction, cause de désordre. Ce silence n’est pas un produit de la pensée, ou simplement la cessation de son bavardage. L’immobilité de l’activité mentale n’est possible que lorsque le cerveau lui-même est tranquille. Les cellules du cerveau – qui ont été si longtemps entraînées à réagir, à projeter, à protéger, à affirmer – ne sont au repos que par la vision de ce qui est, en fait. À partir de ce silence, une action qui n’est pas cause de désordre n’est possible que lorsque l’observateur, le centre, l’expérience, a pris fin, car alors voir c’est faire.

Voir n’est possible qu’à partir d’un silence où n’existent ni évaluation, ni valeur morale.

Écarter toutes les illusions – politiques, religieuses, et l’illusion du futur – est un dur travail. Nous ne découvrons jamais rien. Nous croyons le faire, et c’est une des plus grandes illusions : celle de la pensée. C’est un dur travail que de voir clair dans ce chaos, dans cette insanité que l’homme a tissée autour de lui.

Il vous faut un esprit très très sain pour voir et pour être libre. La vision et la liberté sont toutes deux absolument nécessaires.

Être libéré du désir de voir, être libéré de l’espoir que l’homme accorde toujours à la science, à la technologie ou aux découvertes religieuses. Cet espoir engendre des illusions. Voir cela, c’est être libre, et lorsqu’on est libre, on n’invite pas l’immensurable, car c’est l’esprit qui est devenu l’immesurable.“

La Révolution du silence – Jiddu Krishnamurti : livre audio (6h01)